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Du bon usage des femmes en quatre leçons

paru dans l’émilie, no.1514, octobre 2007

Vous êtes politicien·ne, chercheur·e, journaliste, manager, responsable d’ONG ou chef·fe d’entreprise ? Vous êtes quelqu’un de moderne pour qui l’innovation n’est pas un vain mot ? Vous souhaitez décupler les chances que votre projet de recherche ou de formation soit financé ? Vous voulez séduire l’électorat le plus large possible en lui montrant que vous savez vivre avec votre temps ? Vous voulez redorer le blason de votre régime totalitaire ? Vous voulez sauver le monde ? Vous cherchez désespérément le moyen de renflouer les caisses d’un journal féministe ? Vous voulez faire bonne figure et vous distinguer des vieux machos qui n’ont rien compris à l’égalité des sexes ? Alors n’hésitez pas à créer votre propre « pôle femmes » : ça marche à (presque) tous les coups. Mode d’emploi.

1) Comment transformer des cours éculés en un projet de formation international innovant

C’est simple : vous partez du constat que les femmes sont différentes des hommes. Avec une telle entrée en matière, il y a peu de risque de froisser vos évaluateurs. Puis, pour assurer votre marché, tout en rassurant votre clientèle et vos bailleurs de fonds, vous en déduisez que les femmes ont forcément des besoins différents. Cette introduction faite, il ne vous reste alors plus qu’à recycler un vieux projet refusé qui traînait dans vos tiroirs, à prendre soin d’ajouter le mot « femmes » une ou deux fois par page, à rechercher quelques partenaires étrangers, et à envoyer le tout à la Commission européenne. Le résultat peut par exemple prendre la forme de cinq modules de formation à l’utilisation des outils informatiques d’il y a cinq ans, mais avec l’avantage inestimable d’être destiné spécifiquement aux femmes d’aujourd’hui. Et si vous vous y prenez vraiment bien, certaines d’entre elles vous en seront peut-être reconnaissantes.

2) Comment transformer des causes perdues en objectifs atteignables en 2530

Vous êtes une organisation humanitaire, vous voulez sauver le monde de la pauvreté, de l’illettrisme et des maladies, mais les Etats et les donateurs sont pingres et vous avez besoin de fonds pour mener à bien votre mission salutaire ? Aidez les femmes, elles vous le rendront. Faites des programmes qui leur sont spécifiquement destinés en démontrant que du salut des femmes dépend celui de l’ensemble de la société. N’oubliez pas le vocabulaire ad hoc : empowerment, micro-crédits... Ainsi ne luttez plus contre la pauvreté, mais contre « la pauvreté des femmes », car cette lutte profite aux enfants, à leurs pères et au reste de la famille. Ne luttez plus contre le SIDA, mais contre le « SIDA des femmes », car ainsi vous préservez le monde d’une prolifération d’orphelins, d’une baisse démographique et d’une propagation de l’épidémie. Et enfin vous obtenez la manne nécessaire à l’amélioration du monde.

3) Comment transformer le néant scientifique en un projet de recherche (innovant bien sûr)

Vos hypothèses de travail sont bancales ? Peut-être même n’en avez-vous pas ? Peu importe. Si votre recherche sent le réchauffé ajoutez-y quelques grammes de femmes, ou plutôt de « sexe ». On ne vous demandera pas davantage de précisions puisque votre projet très scientifique concourra au bien des femmes. Attachez-vous ensuite à multiplier les analyses de corrélation entre votre variable « sexe » et toute une série de phénomènes qui vous passeront par l’esprit, que ce soit la pratique du tatouage ou la consommation des pommes duchesse. L’opération suivante est d’une grande importance pour votre crédibilité scientifique: transformez votre variable « sexe » en variable « genre ». Une fois que vous estimerez avoir démontré de façon probante que les femmes sont différentes - qu’elles s’orientent mal dans l’espace, peinent à s’exprimer en public ou ne s’intéressent pas assez à la politique - vous pourrez ensuite « valoriser » les (non) résultats de votre recherche en vous reportant au mode d’emploi numéro 1 ci-dessus ou, si vous avez suivi scrupuleusement les indications qui précèdent, en passant à la radio.

4) Comment transformer une dictature en un Etat de droit... des femmes

Suivez l’exemple de la Birmanie, créez une agence gouvernementale aux allures d’ONG. Appelez-là Fédération des affaires féminines, trouvez ensuite un acronyme « MWAF », faites-vous financer en partie par un Etat respectable, style l’Australie, pour des projets de développement et pendant ce temps rapatriez de force celles qui ont voulu vous fuir sous prétexte de lutte contre le trafic humain.

Emmanuelle Joz-Roland & Christian Schiess