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Election à Genève : des yeux pour pleurer !

paru dans l’émilie, no.1497, novembre 2005

« La femme n’a pas non plus sa place dans le bourbier politique, car la féminité n’y est pas respectée mais au contraire dénigrée et même jetée dans la boue. » [1] Et si ce constat qu’Iris de Roten a formulé en 1958 à propos de la politique valaisanne n’était pas tout à fait étranger à la situation genevoise de 2005 ?

La politique, c’est sérieux. Comme toutes les affaires d’hommes, on ne plaisante pas avec. Les féministes valaisannes l’ont bien compris, elles qui avaient lancé il y a quelques mois une candidature virtuelle après que tous les partis eurent exclu les femmes de leurs listes pour les élections au gouvernement cantonal. Les sermons autorisés ne se sont pas fait attendre, le Conseiller d’Etat Wilhelm Schnyder y voyant même un crime contre la démocratie. Si peu. Il faut dire que le programme de Lilith tranchait pour le moins avec ceux des autres partis : « Lilith est féministe bien sûr, mais aussi solidaire, anti-militariste, écologiste. Elle veut lutter contre le patriarcat et le capitalisme, l’impérialisme militaire et économique, la marchandisation de nos corps et de nos vies et l’instrumentalisation de nos droits. » [2] Un programme bien tranché donc, qui vient bousculer l’image qu’on se fait d’un Valais si conservateur. Voyons ce qu’il en est à l’autre bout du lac, dans la Genève progressiste.

Les objectifs de Lilith ressemblent à première vue au programme de la liste des Communistes lors des dernières élections. Mais le hic c’est que ce parti n’a présenté que deux femmes sur quinze candidatures ; donc : bonnes idées, mais peut mieux faire. Quant à Solidarités, qui est le seul parti à avoir observé une stricte parité, il s’est vu éjecté du Parlement : aux vestiaires ! On passe sur le Parti du Travail qui a cru bon de récupérer son électorat perdu au profit de l’UDC… avec les arguments de l’UDC. Punition : le bonnet d’âne. Après ce premier petit tour, le progressisme en prend déjà un sale coup. Continuons notre ascension.

Certes, les Verts ont élu neuf de leurs candidates et c’est notamment à ce parti qu’on doit une présence en hausse des femmes au Parlement. Mais attention : quand ça devient vraiment très sérieux et qu’il s’agit de placer ses poulains pour le Conseil d’Etat, alors là on ne badine plus. Un membre du comité du parti, sans doute pour motiver ses camarades dans la course au pouvoir, lance lors de l’assemblée générale : « On n’est pas des couilles molles ! » [3] C’est vrai que vu sous cet angle, Fabienne Bugnon partait avec un handicap certain et que David Hiler avait une longueur d’avance. Ici le problème n’est plus tant le plafond de verre que le dessous de la ceinture ; on pourrait alors conseiller aux Verts de s’inspirer des hommes du désert et d’instaurer la lutte à la culotte comme épreuve d’accession au conseil d’Etat, ce qui aurait au moins le mérite de clarifier les règles du jeu. Quant aux Socialistes, on ne sait pas si la consistance des parties génitales de leurs candidats a joué un rôle dans la campagne, mais le tableau est le même : les femmes sont largement les bienvenues au législatif, mais pas touche au gouvernement ! Reconnaissons quand même, pour qui douterait encore que le féminisme est un combat de gauche, que ces partis minoritaires totalisent à eux deux 58% des élues au Grand Conseil.

Passons à l’Entente bourgeoise (libéraux, radicaux et démocrates chrétiens). Ah, l’Entente bourgeoise… à la simple évocation de son nom, il nous vient à l’esprit un air de Jacques Brel. Et là on n’est plus dans les petites compétitions de zizis : on recrute parmi les sociopathes qui emploieront les grands moyens pour venir à bout de l’Etat social, ou plutôt de ce qu’il en reste. Ces gens-là ne connaissent que deux politiques : réduction des dépenses publiques et répression de celles et ceux qui militent contre les effets de leur politique. Il y en a même qui, non content·e·s d’interdire la contestation de rue, en appellent à la délation publique des manifestant·e·s. Vous savez, les délateurs : ceux qui, avec leurs amis les lèche-bottes, se font tabasser sur la cour de récré, et à l’armée se font passer les couilles au cirage ? Eh bien en politique ils sont consacrés maîtres. Et après ça ils s’érigent volontiers en donneurs de leçon aux « irresponsables », parce qu’en plus ils sont intimement persuadés de devoir leur ascension politique à leur clairvoyance.

Mais la palme de la clairvoyance revient sans doute à Eric Budry qui, dans un éditorial de la Tribune de Genève, pouvait affirmer : « Avec dix candidats pour sept sièges, la population disposera d’un véritable choix. » [4] C’est vrai qu’en bon journaliste, quand on a les yeux rivés sur le monde politico-politicien, on finit par réduire le choix des possibles à ce qu’on y voit. Mais heureusement pour les autres, il reste d’autres choix et d’autres moyens politiques : la démocratie directe, la rue et pourquoi pas internet ? Car pour virtuelle qu’elle soit, la candidature de Lilith n’en est pas moins parvenue à commettre le crime de lèse-majesté : celui d’avoir tourné en bourrique ce qui n’est somme toute qu’un jeu de bourriques. [5]

Reste cependant le choix, limité, de l’élection au Conseil d’Etat. Alors on se gratte, et en cherchant bien on se dit qu’il doit exister plusieurs bonnes raisons de choisir une candidature virtuelle plutôt que celle de la seule femme qui nous est proposée, ne serait-ce que parce qu’une candidate virtuelle ne risquera pas de nous envoyer l’armée pour mâter les manifestations de rue.

Oui, décidément la politique est chose trop sérieuse pour la laisser aux politiciens. Et c’est un Général qui l’a dit.

Christian Schiess




[1] Frauen im Laufgitter

[2] http://www.val-lilith.ch

[3] Le Courrier, 18 juin 2005

[4] Tribune de Genève, 13 octobre 2005

[5] Restent bien sûr le Mouvement Citoyen Genevois et l’Union Démocratique du Centre. Disons simplement, pour leur faire plaisir, que leurs membres sont bien virils.